Le Passe-muraille est l’une des statues les plus atypiques du tout Paris. Lors de vos prochaines flâneries le long des rues pavées de Montmartre, attardez-vous devant cette sculpture dont nous vous racontons aujourd’hui l’histoire…
«Il y avait à Montmartre, au troisième étage du 75 bis de la rue d’Orchampt, un homme nommé Dutilleul. Il possédait un don singulier, celui de passer à travers les murs. Il portait un binocle, une petite barbiche noire et était employé de troisième classe au ministère de l’Enregistrement.
En hiver, il se rendait à son bureau par l’autobus, et, à la belle saison, il faisait le trajet à pied, sous son chapeau melon. Dutilleul venait d’entrer dans sa quarante-troisième année lorsqu’il eut la révélation de son pouvoir. Tels sont les mots de Marcel Aymé, auteur du recueil de nouvelles « Le passe-muraille » publié en 1943. De prime abord, Monsieur Dutilleul est un peu Monsieur-tout-le-monde. Presque insignifiant, cet homme va pourtant connaitre des aventures pour le moins rocambolesques. Son don de traverser les murs, cet homme peu imaginatif et aventureux ne s’en préoccupe que bien peu, ne souhaitant en aucun cas briser sa confortable routine. Allant trouver son médecin de quartier pour lui exposer son « problème » ce dernier en conclut à un surmenage, ne croyant pas les propos de Dutilleul sur sa prétendue faculté de passer au travers des murs. Notre protagoniste avala l’un des cachets prescrits par son médecin, les rangea dans un tiroir et n’y pensa plus.
Le déclic de l’histoire de Monsieur Dutilleul ? Son chef de service abusif. Pour se délivrer de cette tyrannie qui le rongeait un peu plus chaque jour, il se servit de son don de passer à travers les murs pour rendre fou ce dernier… Allant crescendo, il se mit alors à commettre des vols dans des bijouteries, signant ces vols spectaculaires « Garou Garou » (Non, pas Garou… Garou… il n’était même pas encore né, enfin). Faisant la Une des journaux, il se rendit un beau jour à la police de son propre chef, dans le seul but de prouver à ses collègues de travail qu’il était bien le fameux « Garou Garou », aussi étonnant que cela puisse paraitre.
Depuis sa cellule de prison, Monsieur Dutilleul s’octroyait de petits plaisirs, traversant les murs tantôt pour emprunter un petit bouquin à la bibliothèque, tantôt pour se faire un petit resto (ça va la vie Monsieur Dutilleul ?) Un beau soir, il prit pourtant la décision de s’évader de cette ennuyeuse cellule, informant tout de même au préalable le directeur de la prison de la Santé de Paris, où il résidait de façon assez épisodique. Songeant alors à quitter la France pour voguer vers de nouveaux horizons, au détour d’une rue, Monsieur Dutilleul croisa une femme malheureuse en ménage dont il tomba éperdument amoureux.
Une nuit, alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la chambre de son amante, lui vinrent d’affreux maux de tête. Il prit alors de vieux médicament qui trainaient dans son tiroir et partit retrouver sa douce. Mais lorsqu’il quitta la chambre de celle-ci, son don disparut soudainement, le laissant prisonnier à jamais d’un des murs de cette bâtisse de la rue Norvins, à Montmartre… Le peintre Gen Paul, décrochant sa guitare, s’aventurait dans cette rue pour consoler d’une chanson ce pauvre prisonnier de la pierre. Et ces quelques notes de musique pénétraient au coeur de la pierre « comme des gouttes de clair de lune ».
Si le Passe-Muraille pose la question de la liberté, on peut également se demander si l’auteur des Contes du Chat Perché n’y fait pas écho à la nature humaine. Inaugurée en 1989, cette sculpture insolite prenant les traits de Monsieur Dutilleul a été réalisée par Jean Marais, grand acteur mais aussi sculpteur accompli. Le lieu choisi pour installer cette sculpture : la place Marcel Aymé à Montmartre, à deux pas de la Rue Norvins, où ce dernier a résidé de nombreuses années durant… Et si à l’instar de Gen Paul, vous alliez pousser la chansonnette ou jouer quelques notes de musique devant la statue du Passe-Muraille de Montmartre ?
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